Gina Loko-Djidjoho, à cœur ouvert
Certaines femmes choisissent une voie. D’autres, comme Gina Loko, décident de tracer leur propre carte, refusant l’idée qu’il faille choisir entre la raison, le devoir et la passion. D’un côté, la rigueur de la formule chimique, le sens du devoir en santé publique, la précision de l’officine. De l’autre, l’audace d’une coupe, la poésie d’une matière. Entre la pharmacienne, la spécialiste en santé publique et la créatrice de mode, il n’y a pas de division, mais une alchimie. Comment ces trois univers s’influencent-ils ? Où la science rencontre-t-elle l’art ? Et qui est la leader qui se cache derrière cette équation personnelle si singulière ? Loin des discours convenus, Fiers D’Elles est allé à la rencontre de cette femme plurielle pour comprendre l’essence même de son parcours.
L’Origine des Passions :
1.D’où vient cet amour pour des univers aussi différents que la pharmacie et la mode ?
Cet amour vient d’un refus précoce de devoir choisir entre la rigueur et la créativité, entre l’utilité concrète et l’expression de soi. Peut être aussi de mon éducation. Mon père, grand bâtisseur, m’a très tôt orientée vers une une profession libérable NOBLE, : celle de la pharmacie, qui offrait à la fois stabilité, indépendance et utilité sociale. C’est ainsi que j’ai choisi ce métier, avec la conviction que je pourrais y construire quelque chose de durable, à ma manière. Mais en parallèle, la mode, elle, est arrivée comme une respiration. C’est un espace de liberté, d’intuition, de narration silencieuse à travers les matières et les formes. Ma créativité vestimentaire s’est exprimée très tôt — mes sœurs (Monique, Françoise, Solange, Laurence, premières fans) et mes amies d’enfance (Poupette, Lili, Hermance, Fatou, Mam…) relevaient souvent mes tenues, mes associations audacieuses, mon œil pour les détails. La mode n’était pas un « à-côté », mais une forme d’expression profondément intuitive. Ces deux univers, loin de s’opposer, se sont donc construits ensemble dans ma vie. La pharmacie m’a appris la rigueur, le sens de l’engagement. La mode m’a offert un espace de liberté et d’émotion. Donc un même élan : comprendre l’humain, le sublimer, le servir.
2.Vous êtes une Créatrice autodidacte. Quel a été le déclic qui vous a poussée à lancer Gy Maison Couture ? Était-ce un besoin, une urgence de créer ?
La Créa a toujours fait partie de moi C’est arrivé de façon très naturelle, presque discrète au début. Depuis toujours, j’ai eu une sensibilité particulière pour les tissus, les coupes, les silhouettes. Mes amies relevaient souvent ma façon de m’habiller, de revisiter des pièces classiques, de créer des associations inattendues. C’était ma manière de m’exprimer, sans mots. Le vrai déclic, c’est quand mes sœurs — mes premières fans — et certaines amies ont commencé à me dire : «Dessine moi un truc pour la soirée, fais moi la même tenue, tu devrais créer ta propre marque. » J’ai alors compris qu’au-delà d’un plaisir personnel, il y avait une envie partagée. J’ai eu envie de donner une existence concrète à cette passion. Avec les encouragements de mon Homme, Gy Maison Couture est née : comme une évidence, une réponse à une énergie créative qui ne demandait qu’à s’exprimer.
L’Alchimie des Talents :
3.Comment la pharmacienne rigoureuse en vous influence-t-elle la créatrice de mode ? Dans le choix des matières, la précision des coupes, la gestion de votre marque ?
La rigueur, je l’ai acquise très tôt, notamment en choisissant la voie de la pharmacie sur les conseils de mon père. Il m’a guidée vers une profession libérale, à la fois stable et porteuse de sens. Et cette structure m’a profondément marquée. En pharmacie, chaque détail compte, chaque erreur peut avoir des conséquences : cette attention aux détails, cette exigence, je l’ai naturellement transposée dans la création. Dans la mode, cela se traduit par un choix minutieux des matières, une exigence dans les finitions, et un sens très fort de la qualité. Je ne fais pas les choses à moitié. Et dans la gestion de la marque, cette rigueur me permet de structurer, d’organiser, de suivre des processus… même dans un univers créatif où tout pourrait partir dans tous les sens.
4. Inversement, comment la créatrice intuitive et passionnée nourrit-elle la pharmacienne et la manageuse au quotidien ?
La créativité m’aide à garder une certaine fraîcheur, même dans les environnements les plus techniques. Mon parcours de pharmacienne d’officine, que j’ai enrichi de missions en santé publique pour des organismes internationaux, demande une capacité d’analyse, de synthèse, de gestion. Mais parfois, on peut vite se laisser enfermer dans des cadres rigides. La créatrice en moi me rappelle qu’il y a toujours une autre façon de voir les choses, une autre manière de faire. Elle me pousse à sortir des sentiers battus, à innover, à oser des solutions différentes. Finalement, cette passion artistique m’aide à rester connectée à l’humain, à l’émotion, à l’intuition — des éléments essentiels, même dans des métiers très techniques.
5. Entre la Science, l’Art et le Business, où vous sentez-vous le plus « vous-même » ? Ou votre identité réside-t-elle justement dans la fusion des trois ? Je me sens pleinement moi dans l’équilibre de ces trois pôles. La Science m’a construite, m’a donnée une structure et une manière d’aborder le monde avec rigueur. L’Art, à travers la mode, m’a permis de me reconnecter à une part de moi que j’avais longtemps gardée en silence. Et le Business, lui, m’a appris à faire vivre mes idées, à les rendre concrètes, viables. Je ne pourrais pas me limiter à un seul de ces univers. Mon identité s’est justement forgée dans cette fusion : celle d’une femme libre, à la fois ancrée et inspirée, qui choisit de ne pas choisir entre ses passions, mais de les faire dialoguer. C’est cette singularité qui me définit.
L’Esprit du Leadership :
6.Dans votre pharmacie, vous dirigez avec la précision d’une formule. Dans votre maison de couture, avec l’intuition d’une artiste. Si vous ne pouviez garder qu’un seul de ces deux ingrédients pour définir votre leadership, lequel serait-ce : la précision ou l’intuition ? Et pourquoi ?
Je choisirais l’intuition. Parce qu’au fond, c’est elle qui me guide depuis le début, même dans les choix les plus « raisonnables » de ma vie. La précision est essentielle, bien sûr — elle m’a été inculquée par ma formation, elle structure mes actions. Mais c’est l’intuition qui m’a permis de m’autoriser des chemins non balisés, de sentir les bonnes opportunités, de capter ce qui ne se dit pas. C’est elle aussi qui me permet de diriger avec humanité, de faire confiance, d’écouter au-delà des chiffres ou des normes. La précision exécute.
L’intuition éclaire.
7. Sur les réseaux sociaux, un texte que vous avez aimé disait : « J’ai arrêté de traverser les océans pour des gens qui ne sauteraient même pas une flaque d’eau pour moi ».
La formule est forte. Au-delà des mots, sur le plan strictement professionnel, quel est l’océan de compromis que vous avez décidé de ne plus jamais traverser, que ce soit pour votre pharmacie ou pour Gy Maison Couture ? J’ai décidé de ne plus jamais traverser l’océan de la sur-adaptation. Pendant longtemps, j’ai voulu être à la hauteur des attentes — parfois implicites — que ce soit dans le monde médical, dans les réunions institutionnelles ou même dans la mode. Mais à force de m’ajuster, je finissais par m’éloigner de ce que je voulais vraiment être, créer ou défendre. Aujourd’hui, je refuse les collaborations humaines , professionnelles ou artistiques qui ne respectent pas mes valeurs, les projets qui exigent que je me fasse « plus petite » ou que je dilue ma vision. Je ne veux plus investir mon énergie là où elle n’est ni reconnue ni alignée.
8. Pour réussir, on nous donne souvent des conseils bien intentionnés mais limitants. Quel est le conseil de carrière le plus courant (« choisir une seule voie », « séparer la passion du travail »…) que vous avez délibérément ignoré pour bâtir votre propre chemin ?
Le plus grand conseil que j’ai volontairement ignoré, c’est : « Il faut choisir une seule voie pour être crédible. » Cette injonction est tellement ancrée, surtout pour les femmes. Comme si la légitimité passait par la spécialisation extrême, comme si embrasser plusieurs passions rendait notre engagement flou ou superficiel. Mais moi, j’ai toujours senti que ma richesse était dans l’entrelacement de mes mondes : la pharmacie, la santé publique, la mode, l’entrepreneuriat. Je n’ai jamais vu cela comme un éparpillement, mais comme une construction cohérente. En refusant de choisir, j’ai affirmé une autre manière d’exister professionnellement.
9. Si la « Gina d’avant » était une matière, un tissu… et la « Gina d’aujourd’hui » en était une autre, quelles seraient ces deux matières ? Et que raconte ce changement sur votre transformation ? (Ex : du coton fonctionnel à la soie sauvage, etc.)
La Gina d’avant serait probablement du lin : solide, fonctionnel, résistant mais … froissable. Elle avançait avec une forme de discipline, un besoin de prouver, de construire sur des bases sûres. La Gina d’aujourd’hui ? De l’organza de soie. Toujours résistante, mais plus légère avec plus de mouvement, de fluidité, de nuances. Une matière qui a sa propre texture, sa propre vibration, qui n’essaie plus d’être lisse ou standard. Ce changement raconte un passage de la conformité à l’authenticité.
De la solidité à la singularité assumée.
10. Entre une urgence à la pharmacie, une conférence internationale sur la digitalisation des données épidémiologiques, une réunion sur la mise en place de la couverture sanitaire universelle, un essayage pour Gy Maison Couture et le tourbillon du quotidien, il y a des jours où le chaos doit l’emporter sur l’harmonie. Quelle est votre « arme secrète » ou votre rituel non-négociable pour rester ancrée au milieu de la tempête ?
Un rituel et une arme secrète : Le premier, c’est le silence. Un moment rien qu’à moi, même court, où je me retire. Ce peut être très simple : cinq minutes sans téléphone, un café allongée sur mon fauteuil-canapé dans mon bureau, ou juste quelques respirations profondes dans un coin de la maison. Mon arme secrète : mes quatre filles.. Mon Tsunami d’amour !! Les contacter et avoir ce petit moment câlin mère fille qui vous revigore en un instant. Ceci me permet de revenir à moi, de trier l’essentiel du superflu, de me recentrer sur l’intention plutôt que sur la pression. C’est ce qui me permet de ne pas me perdre dans le chaos.
11. Loin des regards, des diplômes et des applaudissements, quel est ce moment précis, peut-être très simple, où vous vous êtes dit, juste pour vous-même : « Là, je suis fière de moi » ?
Il y a eu un soir où, après une journée dense, je suis rentrée chez moi, épuisée mais calme. Je me suis assise dans mon jardin, j’ai regardé autour de moi, et je me suis dit : « Waouh Gina : la maison, la pharmacie, la reconnaissance des pairs et l’atelier !!! Tu n’as pas renoncé à toi-même. BRAVO » Ce n’était pas spectaculaire. Personne ne m’applaudissait. Mais c’était un moment de lucidité intérieure, où j’ai mesuré le chemin parcouru, les choix assumés, les compromis évités. Cette phrase-là, je me la répète souvent. Elle me suffit. À travers un parcours singulier, entre rigueur scientifique et liberté créative, Gina Loko incarne une nouvelle génération de femmes qui refusent de choisir entre les cases. Elle construit, déconstruit, ose, et inspire.Et si son chemin devait se résumer en une seule conviction, ce serait peut-être celle-ci : Crois en toi, fais le premier pas. Crois en tes rêves, avance, ose et relève. Et quoi qu’il arrive, n’abandonne pas.